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RECIT du procès Semmar et Boudiab : l’étrange « dossier fabriqué de toutes pièces »

Durant tout le procès qui a duré plus de six heures, les avocats de la défense ont minutieusement démantelé les accusations portées contre Abdou et Merouane. « C’est une affaire purement politique » dénoncent les avocats qui relèvent plusieurs irrégularités dans le dossier.

« Il y à deux tribunaux ici dans la Daïra de Bir Mourad Rais. » « Les confrères, avocats et militants m’appellent pour savoir dans lequel des deux se déroulera le procès des deux journalistes Abdou Semmar et Merouane Boudiab, prévu aujourd’hui 08 novembre ».
En cette matinée d’automne, le ciel est bleu. Said Boudour est Journaliste et membre du Syndicat algérien de la presse électronique (SAEPE). Vêtu d’une veste noire, visage Chiffonné, ses doigts n’arrêtent pas de taper l’écran de son Smartphone pour échanger des informations avec d’autres personnes venues assister au sit-in prévu à 09 heures devant le tribunal de Said Hamdine à Alger. Les yeux qui fuient dans tous les sens, Saïd guette les gens qui ont répondu à l’appel du comité de soutien. Plusieurs dizaines de journalistes, militants, membres de partis politiques, avocats et organisations nationales et internationales sont venus assister au sit-in de soutien.
Avec quelques minutes de retard, le sit-in commence enfin. Les agents des renseignements généraux (RG) sont aussi nombreux que les manifestants. Ils sont postés dans tous les coins autour du tribunal. Aujourd’hui, ils n’ont pas reçu d’ordre pour interdire la manifestation qui se déroule dans le calme. Braqués par plusieurs caméras des chaines étrangères principalement et deux chaines nationales, les manifestants ont brandi deux banderoles avec les photos des journalistes emprisonnés : « Le journalisme n’est pas un crime. » Les journalistes présents regrattent et dénoncent l’absence et la position du syndicat national des journalistes (SNJ) qui n’a pas fait d’appel de soutien à leurs confrères détenus.

Militants refoulés au tribunal

A 10H, les journalistes et familles des détenus rentrent dans le tribunal. L’accès n’est pas autorisé pour tout le monde. Un agent de police avec uniforme bleu est posté à l’entrée. Sans motif valable, ou présentation de la carte de presse, l’accès est impossible : « Exceptionnellement pour cette journée, l’entrée est sur présentation de convocation de la justice ou d’une carte de presse, c’est les ordres » explique l’agent de police qui arrive à peine à regarder les cartes et documents présentés par la foule qui se précipite devant lui. Trois militants sont refoulés à l’entrée du tribunal. « J’ai essayé d’y pénétrer à deux reprises, mais ils (agents de police Ndlr) m’ont refoulé. Ils n’ont pas le droit car c’est une audience publique » dénonce Othmane Aouameur sur un ton fort.

Autorisation d’accès aux journalistes

À l’intérieur du tribunal, c’est une autre ambiance. Surpris, les journalistes apprennent qu’ils ne peuvent pas accéder à la salle d’audience ! « Vous ne pouvez pas rentrer car la salle est déjà pleine à craquer » justifie un officier de police épaulé par une dizaine de ses subordonnés qui bloquent l’entrée de la salle d’audience. Furieux, les journalistes résistent et dénoncent cette situation « anormale ». « C’est une audience publique, donc, vous n’avez pas le droit de nous empêcher » riposte Djaafar Kheloufi, journaliste présent sur place. Face à cette pression, l’officier demande aux journalistes d’aller voir le procureur de la république pour avoir une autorisation d’accès. Il a fallu l’intervention des avocats de la défense qui sont partis voir le procureur pour enfin, avoir le droit d’y accéder. Malgré ça, l’officier demande aux journalistes de patienter « le temps que quelques affaires soient traitées pour libérer de la place dans la salle ».

Procès de la liberté d’expression

Les hommes et femmes en robes noires, ne peuvent pas passer inaperçus. Ils sont plus de trente à venir défendre les deux journalistes. « Ils sont dépêchés par plusieurs organisations : ligues des droits de l’homme, ONG, FFS, Médias et d’autres sont venus volontairement des quatre coins du pays » expliquent les journalistes qui se sont constitués en comité de soutien, qui à l’occasion, rendent  un « très grand hommage à cet acte de bravoure ». « Nous sommes obligés d’être ici, aujourd’hui, car il ne s’agit pas uniquement d’une affaire de deux journalistes, mais c’est le procès de la liberté d’expression et la liberté de la presse » nous confie maitre Belkacem Nait Salah, qui a fait le déplacement spécialement depuis la ville d’Oran, situées à 400 KM à l’ouest d’Alger.
Après plus d’une heure d’attente, quelques journalistes arrivent à accéder dans la salle. Elle est pleine à craquer. Il y a même quelques personnes debout. Les avocats de la défense des deux journalistes sont déjà dans les premiers rangs. Les affaires défilent les unes derrière les autres. Les jugements de la majorité des affaires « seront annoncés le 19 novembre » annonce le juge après chaque comparution. Probablement, il est courant de la grande foule qui attend pour assister au procès des deux journalistes. Après une pause de quinze minutes, il revient et fait une annonce aux avocats des deux journalistes. « Il nous a dit que notre affaire passera en dernier » murmura maitre Mokrane Ait Larbi à l’oreille d’une journaliste.

Toutes les hypothèses possibles

À midi et quart, les journalistes et avocats venus pour assister aux procès d’Abdou de Merouane quittent le tribunal pour faire une halte. Ils sont constitués en petits groupes dans une rue adjacente. Les avocats, journalistes, militants et représentants des organisations venus soutenir les détenus profitent de cette trêve pour converser et évoquer toutes les hypothèses possibles après l’audience. Certains d’autres, profitent pour manger et boire, car l’attente risque d’être longue.
Au retour dans la salle vers 13H30, les affaires continuent de défiler l’une derrière l’autre. À 15H45, la cloche qui annonce la reprise des audiences raisonne dans la salle. Quand le juge rentre avec deux autres fonctionnaires du parquet, tout le monde se lève. C’est le protocole qui l’impose, les présents s’assoient une fois qu’il est installé sur son siège. Le juge appelle enfin Abdou Semmar et Merouane Boudiab. Cheveux coupés, sourires dessinés sur leurs visages, ils avancent vers le juge accompagnés par deux agents de la police judiciaire. Soulagés, ils n’arrêtent pas de tourner et d’hocher la tête en signe de salutation et remerciement aux présents qui sont venus les soutenir et couvrir leur procès.

Bajolet et Bouteflika !

Le procès commence enfin. Le juge, quinquagénaire, confirme les noms des deux accusés et demande à Abdou : « De quoi êtes-vous accusés? ». « Monsieur le juge ; je suis journaliste depuis plus de dix ans. J’ai écrit des articles. J’ai faits mon travail et rapporté fidèlement et entre guillemets les propos de Amira Bouraoui, personnalité publique. Pourquoi vous m’avez mis en prison pour cela? Toute la presse nationale a repris les propos de Bernard Bajolet, ex-ambassadeur de France en Algérie qui a critiqué le président de la République Abdelaziz Bouteflika. Personne n’est mis en prison. » Le juge prend note et pose la même question pour Marouane qui répond à son tour : « Je suis administrateur de la page Facebook de notre Media. Je traduis aussi des articles de la langue française vers l’arabe » répond Boudiab. Les deux accusés ne sont pas visibles pour l’assistance. Une énorme robe noire s’est dressée autour d’eux par les avocats.

Poème contre le cinquième mandat

C’est le tour de maitre Abdelhafid Kourtel, avocat de Mohamed Mokadem, dit Anis Rahmani, directeur du groupe Médiatique Ennahar qui prend la parole : « Monsieur le juge ; La diffamation est une atteinte à la vie privée. Quel est l’intérêt de rapporter de tels propos ? » Plaide-t-il. Les lois sont claires : « elles punissent même la personne qui a fait une republication » insiste l’avocat d’Anis Rahmani. « Les enquêteurs de la gendarmerie nationale ont même trouvé un poème contre le cinquième mandat du président de la république lors de la perquisition de ses bureaux ».
« Derrière chaque Media en ligne, il y a une personnalité cachée. Ils sont tous influencés » accuse l’avocat avant de se mettre en face d’Abdou Semmar et Marouane pour leur donner une leçon de déontologie journalistique. Les avocats de la défense l’interrompent : « Vous n’êtes pas ici pour donner des leçons aux accusés. Adressez-vous au juge plutôt ». Pour calmer les esprits et détendre l’atmosphère, le juge prend une courte pause.

 Deux millions de dinars

Au retour, je juge interroge maitre Kourtel : « Que demandez-vous? » . L’avocat demande  « deux millions de dinars comme dommages. » Étonnés, les journalistes qui assistent au procès se regardent entre eux. Etonnés de la demande de l’avocat de Anis Rahmani, qui parlait au début d’une affaire d’honneur : « C’est une honte. Je m’attendais à 1 dinar symbolique de réparation s’il s’agissait vraiment une affaire d’honneur » confie une journaliste d’une agence de presse étrangère à sa consœur assise à ses cotés.
Le juge prend note et donne la parole à l’avocat du wali d’Alger qui accuse le journaliste Abdou Semmar d’avoir « commis un acte de diffamations envers le Wali d’Alger. C’est aussi une atteinte à la vie privée » explique-t-il au juge en citant les articles de lois qui condamnent ces chefs d’inculpations. « On demande une réparation de 50 millions de dinars pour la wilaya d’Alger » conclut l’avocat. Pas besoin d’être juriste pour constater la première contradiction dans le dossier : Durant la plaidoirie, l’avocat cite le Wali d’Alger comme partie civile (personne physique ayant déposé plainte Ndlr), mais lors de la demande des dommages, il demande 50 millions de dinars de réparation pour la wilaya d’Alger (Personne morale Ndlr).

« C’est un complot ! »

Le juge donne la parole au procureur de la république qui demande en premier chef, un complément d’informations, ou bien, une année de prison ferme. Juste après, une deuxième pause de quinze minutes est observée.
Au retour, les avocats de la défense ont enchainé la plaidoirie l’un derrière l’autre. Maitre Zoubida Assoul ouvre la plaidoirie du coté de la défense et estime que ce dossier « est politique et reflète les contradictions de ce système. La preuve, Abdou Semmar est placé en garde à vue le 23 octobre à partir de 14H30, alors que la plainte de Mohamed Mokadem dit Anis Rahmani a été déposée à 17H selon l’enquête préliminaire de la gendarmerie nationale. C’est-à-dire, après avoir placé Abdou Semmar en garde à vue. Elle poursuit en dénonçant l’absence de plainte de la personne victime elle-même. Anis Rahmani a mandaté un employé du groupe Ennahar, alors que la loi et la pratique judiciaire exigent que la victime dépose plainte elle-même. Concernant la procuration du Wali d’Alger, il a délégué son chef de cabinet, qui à son tour, a délégué un fonctionnaire de la Wilaya pour le faire à la place de Abdelkader Zoukh. Elle a été déposée le 24 Octobre alors que Abdou Semmar était en garde à vue, à partir de 15H du 23 octobre. Ces gens se considèrent au-dessus des lois, ils ne respectent même pas la justice et refusent de se présenter devant elle lors du procès. »
Quand c’est le tour de maitre Mokrane Ait Larbi, c’est le silence total. « Monsieur le juge ; on dirait que ce dossier est tombé du ciel ! On accélère les enquêtes en express pour les journalistes mais pas pour les trafiquants et corrupteurs. Pourquoi Anis Rahmani a déposé plainte le 23 et le Wali d’Alger le lendemain ? Est ce un hasard ? Pourquoi c’est la gendarmerie de Bab Djedid qui prend en charge le dossier?Normalement cette brigade est spécialisée dans les grandes affaires de corruption qui touchent le pays. » 

AMIR DZ

« C’est un complot » dénonce Ait Larbi devant le juge. « Le dépôt de plainte fait par le salarié d’Anis Rahmani est fait après l’arrestation des journalistes ». « Non monsieur le juge poursuit l’avocat : Ces jeunes appartiennent à une nouvelle génération, celle qui lutte contre la corruption. Ils préfèrent mourir debout que de vivre toute une vie à genoux (génération Anarez Wala Aneknu). C’est AMIR DZ qui est visé dans cette affaire et non Abdou Semmar.» « Ewtit af alim, aditsu timzine (c’est le châtiment pour l’exemple, plus clairement quand on punit quelqu’un pour une petite faute , il évitera de commettre de plus graves) ». Maitre Ait Larbi demande d’annuler toutes les poursuites contre les deux journalistes.
« Tout ce procès tourne autour de l’affaire d’Amir DZ. Comment vous expliquez que Abdou Semmar est entendu à 17H par la gendarmerie de Bab Jdid en se référant au procès-verbal de la gendarmerie et puis le procureur ordonne une enquête le même jour ! La justice travaille-elle après 17H? Ou bien c’est la justice de nuit ? C’est une affaire fabriquée de toutes pièces » dénonce maitre Amine Sidhoum, avocat au barreau d’Alger.

« C’est un dossier politique »

Les avocats continuent à défiler l’un derrière l’autre et le juge demande aux avocats de « ne pas répéter les mêmes plaidoiries et de ne pas rentrer dans la politique». Maitre Abdelghani Badi monte le ton et contredit le juge : « Je suis là pour faire de la politique, car dans ce dossier, il n’y a rien de juridique. C’est un dossier politique » dénonce-t-il. « Pourquoi ce n’est pas le code de l’information qui est appliqué ? Pourquoi c’est le code pénal? C’est celui-là qui est pénible de plus de trois ans de prison, et permet ainsi de les mettre les accusés en prison préventive ». « Ce qui se passe est très grave et cela porte atteinte à la nation. Cela noircira l’image du pays » conclut maitre Badi.
Quand maitre Noreddine Ahmine prend le relai, c’est une autre ambiance qui s’installe. « Normalement la justice doit remercier les journalistes d’Algérie Part. » « Si nous étions dans un autre pays, le parquet aurait ouvert une enquête sur ce dossier qui touche une institution de l’État (Wilaya d’Alger Ndlr). Aucune mise au point ou droit de réponse n’a été adressé à la rédaction. C’est une affaire purement politique et fabriquée de toutes pièces ».

Deux poids, deux mesures

L’avocat du barreau de Béjaïa, maitre Boubekeur Esseddik Hamaili dénonce le deux poids, deux mesures de la justice : « Le nombre de plaintes déposées contre cette chaine de télévision (Ennahar TV) est très élevé. Je me demande pourquoi la justice n’a jamais donné suite à ces plaintes déposées depuis des mois, voir des années ? Moi-même j’ai déjà déposé deux plaintes, pour divulgation de secrets d’instruction dans l’affaire du blogueur Marzouk Touati. La justice met les gens en prison en 24 quand la plainte est déposée uniquement par Anis Rahmani et le Wali d’Alger ».

« Zorro »

Pour clôturer la plaidoirie, c’est maitre Mustapha Bouchachi qui s’y met. « Je tiens à vous rendre hommage car êtes là depuis 10H du matin. Je ne suis pas venu aujourd’hui pour vous dire seulement que ces journalistes sont innocents. Durant toute la séance, vous n’avez posé des questions que sur la diffamation, et en aucun moment, vous n’avez posé une question sur autre chose. Je ne suis pas venu défendre les deux journalistes, mais je suis là pour défendre les institutions et l’état. Durant toute ma carrière, je n’ai en aucun cas, vu de telles procédures. »
« C’est la première fois dans l’histoire que des gens se considèrent comme des « Zorro » car ils ne respectent pas les institutions de l’État. Durant toute ma carrière, dans tous les dossiers que j’ai traité, il y a eu beaucoup de choses objectives, mais dans ce dossier, il n’y a aucune objectivité ».
« Comment osent-ils appeler les accusés par téléphone ? Sommes-nous au Far West ? Il ne faut pas qu’un responsable d’une institution sécuritaire agisse de cette manière.  Ils utilisent les institutions pour des règlements de comptes. C’est une violation de toutes les lois de la république. Il ne faut pas que la justice devienne aussi un instrument pour des règlements de comptes. L’administration peut se tromper. Les institutions aussi. Mais pas la justice. » « Je suis triste monsieur le président, je vous demande de m’enlever cette tristesse et d’innocenter les journalistes. Vous ne pouvez pas mettre Abdou et Merouane aujourd’hui en prison. D’ailleurs, que fait Merouane ici ? C’est un salarié ! Son dossier est vide ! » Cria maitre Bouchachi.

Victoire

Le juge donne la parole aux deux détenus et c’est Abdou Semmar qui prend la parole en premier : « ça fait 17 jours que je suis en prison. Donnez moi deux minutes pour m’exprimer. Je suis dans une prison dans laquelle je partage une cellule avec des repris de justice et des trafiquants. Je n’ai rien fait contre les lois de la république». Et par la suite, le juge donne  la parole à Maroiuane Boudiab qui n’arrive pas à retenir ses larmes : « au deuxième jour de ma détention, j’ai appris que ma fille de deux (02) ans a fait ses premiers pas sans que je puisse la voir » s’effondre-r-il.
Le juge prend un break de quelques minutes avant d’annoncer le verdict : « Libération des détenus et complément d’enquête ». L’assistance n’a pas pu se retenir et tout le monde a crié « wé » comme signe victoire. Les familles des deux, journalistes, présentes au procès sont soulagées : « Merci à tout le monde pour votre solidarité » déclare l’épouse d’Abdou Semmar.
 
 

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