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Entretien | Constitution : « D’un régime présidentiel à un régime présidentialiste »

Choix de la date, amendements apportés, boycott de la classe politique, à un mois du referendum sur l’amendement constitutionnelle, la Juriste, enseignante universitaire en droit public et consultante juridique, Zouhour Ouamara, diplômée de l’académie internationale de Droit constitutionnel et de l’institut international des Droits de l’Homme de Strasbourg, répond dans un entretien à Interlignes Algérie, aux questions sur le rendez-vous électoral prévu le 1er novembre.

Pourquoi, à votre avis, le régime a choisi le contexte actuel pour une opération d’amendement de constitution. Un contexte marqué par l’épidémie de COVID-19, le verrouillage des espaces publics et médiatiques et l’acharnement policier et judiciaire contre ses opposants ?

C’est l’éternelle querelle politique entre légalité et légitimité. Chaque régime politique, afin de s’affirmer, doit reposer sur un certain seuil de légitimité. Cette dernière n’est acquise qu’à travers l’acceptation du régime en place par le peuple souverain. Or nous savons tous qu’une grande majorité du peuple algérien n’est pas allée voter le 12/12/2019. La grande illustration de cette légitimité précaire c’est le Hirak dans son coté actif : à savoir les rassemblements périodiques. Cette image a frappé en plein fouet la légitimité du régime. 
Le verrouillage des espaces publics et les restrictions imposées par la propagation de l’épidémie COVID-19 ont joué en faveur du régime afin de dissimuler et d’estomper ce manque de légitimité. Les revendicateurs sont soit confinés soit emprisonnés du coup le choix d’un tel contexte est dissimulateur de cette légitimité boiteuse et trébuchante. Passer un référendum dans un contexte monotone tout en garantissant sa réussite sera l’atout du régime afin de reconquérir une légitimité aussi mensongère qu’éphémère. 

Plusieurs partis politiques, hommes politiques et hommes de droit pensent que ce projet de construction vise à renforcer le pouvoir du Président de la République au détriment des autres pouvoirs législatifs et judiciaires, êtes-vous d’accord ?

Cette révision constitutionnelle fera virer le régime politique algérien d’un régime présidentiel à un régime présidentialiste. C’est l’hégémonie de l’exécutif sur le législatif et le juridiciaire. De plus, le rôle du premier ministre se limite au rôle d’assistant à la présidence de la République. Le chef du gouvernement a un rôle secondaire concernant le pouvoir règlementaire ( article 141). En effet, le pouvoir réglementaire initial (originel) est désormais une compétence exclusive du président de la République selon le même article. 
On note également que le président de la République nomme tout le corps exécutif et également les membres des instances supposées indépendantes comme l’instance indépendante des élections (article 201 bis) ou encore des institutions juridictionnelles comme la cour des comptes (article 199). On a ôté des autres instances indépendantes leur véritable fonction étant un contre-pouvoir en les réduisant à de simples institutions consultatives (conseil des droits de l’Homme, observatoire national de la société civile, etc.)

Le projet de la nouvelle constitution contient une curieuse nouveauté. Désormais l’armée a un rôle constitutionnel, elle pourra intervenir  » afin de défendre les intérêts vitaux et stratégiques du pays conformément aux dispositions constitutionnelles  » . Qu’avez-vous à nous dire à ce sujet ?

Une chose est certaine : c’est un revirement dans la doctrine militaire algérienne. C’est vrai que l’Algérie a rencontré durant la dernière décennie plusieurs menaces et challenges militaires sur ses frontières avec le Mali et la Libye. Mais c’est vrai aussi qu’elle a su garder les choses sous contrôle ce qui renvoie à l’efficacité des mesures politico-sécuritaires jadis prises. 
Cette nouvelle constitutionnalisation est ambitieuse car l’Armée algérienne compte 467.200 hommes et femmes : 130.000 dans les forces d’active, 187.200 paramilitaires et 150.000 réservistes (selon l’Institut international d’études stratégiques (IISS) de Londres) mais c’est également une arme à double tranchant qui demandera plus de réserves et lignes budgétaires alors que l’Algérie y consacre déjà 5.3% de son PIB ( d’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) soit  9,6 milliards de dollars en 2018 ). On s’attendra alors à un déboulement de ce budget face à une économie précaire et fragile.  De plus que cette externalisation des formes militaires renvoie à des éventuelles alliances géostratégiques avec d’autres Etats pouvant être fatales pour un Etat en voie de développement comme l’Algérie. 

Partant de la lecture que vous avez faite de ce projet de constitution, trouvez-vous qu’il porte réellement une protection pour les libertés fondamentales ?

Une Constitution sans justice constitutionnelle et sans de véritables garanties pour l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire ne saura aucunement comment garantir réellement les droits et libertés fondamentaux même si elle possède le plus merveilleux des catalogues  »droits- libertés ».  En d’autres termes, constitutionnaliser les droits et libertés sous forme de catalogue (c’est la nouvelle vague prônée par la loi fondamentale allemande et la constitution Américaine) sans garantir leur totale pratique et sans imposer des limites quant aux lois législatives qui conditionnent ce catalogue fera de lui une lettre morte et une vitrine théorique

Croyez- vous que ce projet de la nouvelle constitution véhicule un projet de société ou comme l’appelle le pouvoir  » la nouvelle Algérie » ?

Tant qu’il n’a pas émané d’un véritable débat national à caractère participatif, tant que le peuple souverain n’a pas dit ouvertement son mot et n’a pas négocié ses droits et libertés et ses moyens de gouvernance, tant que la révision a été décidée et concrétisée d’une façon unilatérale, nul ne pourra parler d’une Algérie nouvelle car nul ne verra naitre un nouveau contrat social algérien. 

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