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Chamboulement politique : vers quel avenir la Tunisie se dirige-t-elle ?

© DR l Kais Saied. Président de la Tunisie

Le 25 juillet 2021, jour de la fête de la République Tunisienne,  le Président Tunisien Kais Said  a annoncé en marge d’une réunion d’urgence, avec des cadres sécuritaires et militaires au palais de Carthage, le gel des activités de l’Assemblée des représentants du peuple et la levée de l’immunité́ parlementaire de tous les élus. Le 26 juillet, il confirme le limogeage du Chef du Gouvernement et de deux autres ministres dont celui de la défense.

Depuis les élections présidentielles et législatives en 2019, la scène politique tunisienne a connu une grande instabilité. D’abord, en ne parvenant pas à désigner un chef du gouvernement ensuite en connaissant un perpétuel changement concernant ce poste. Depuis le 25 juillet 2020, c’est Hichem Mechichi qui a occupé ce poste jusqu’à son limogeage un an après.

Entre temps, la confrontation entre les trois pôles : Bardo (siège de l’Assemblée des représentants du Peuple) / Kasbah (siège du chef du gouvernement) / Carthage ( Présidence de la République) marque un pic avec un véritable blocage institutionnel. Les décisions sont mal prises ou ne passent pas. On  marque une montée de violence au niveau de l’Assemblée des représentants du peuple. Puis, la Tunisie dénombre 18 000 morts face à un manque d’anticipation de la crise sanitaire.

Enfin, l’inflation ronge le pays causant une crise économique et une défaillance du pouvoir d’achat du tunisien. Le pays sombre dans une atmosphère accablante. Le peuple lance des appels de détresse au Président de la République qui commence à être fortement critiqué par les 70% du peuple qui l’ont élu.

Un séisme politique à la tunisienne 

Le 25 juillet 2021, supposé être un jour de fête nationale, a été un jour de colère nationale. Plusieurs tunisiens sont sortis manifester un peu partout dans les villes tunisiennes. Des points locaux du parti Nahdha, qui demeure selon les manifestants la source de tous les maux en Tunisie, ont été saccagés.

Tard le soir, le Président tunisien réunit des cadres militaires et sécuritaires à Carthage et annonce dans un discours adressé au peuple des mesures exceptionnelles se basant sur l’application de l’article 80 de la Constitution tunisienne.

Il annonce le gel des activités de l’Assemblée des représentants du peuple pour une durée de 30 jours et la levée de l’immunité́ parlementaire de tous les élus. Tout en prenant en main le pouvoir exécutif et annonçant le fonctionnement de la vie publique durant la dite période par décrets présidentiels.

L’article 80 de la Constitution tunisienne : que dit-il ?

L’article 80 affirme que l’exercice des pouvoirs exceptionnels est accommodé par un ensemble de précautions qu’on peut diviser en trois groupes : un groupe de conditions, un groupe de mesures et un groupe de consultations.

Premier groupe : un groupe de conditions : l’ouverture des pouvoirs exceptionnels est conditionnée par trois conditions cumulatives : 1-la menace des institutions de la nation et la sécurité (péril imminent) 2- l’indépendance du pays et 3- l’entrave du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

Deuxième groupe : un groupe de mesures :  1-les  décisions présidentielles, entre l’ouverture et la clôture de ce régime doivent selon l’article 80 «  avoir pour objectif de garantir le retour dans les plus brefs délais à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics »,  2-le fait que l’Assemblée du représentants du peuple soit considérée en état de réunion permanente et dernière mesure, 3-le Président de la république ne peut pas dissoudre l’Assemblée et  ne peut être présenter de motion de censure contre le Gouvernement.

Troisième groupe : un groupe de consultations : cette situation exceptionnelle suppose une large consultation et/ou information.

A l’ouverture :1-la consultation du chef du gouvernement et du Président de l’Assemblée du peuple, 2-l’information du peuple à travers un communiqué ainsi que 3-l’information du président de la Cour constitutionnelle.

En cas de prolongation : Apres trente jours de cet état exceptionnel, la cour constitutionnelle peut être saisie à tout moment par le Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou par trente membres de la dite Assemblée.

S’agit- il alors d’un coup d’Etat ?

Revenant à l’application de l’article 80.  Concernant le groupe des conditions, il est clair qu’elles y sont. Le pays qui sombre dans une crise, le peuple qui réclame un passage à l’acte. La constatation d’un péril imminent menaçant la sécurité des tunisiens ( crise sanitaire surtout) et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la crise économique qui menace l’indépendance du pays ( échéance des prêts souverains / négociations qui tardent avec les organismes financiers internationaux). En absence de Cour constitutionnelle, le Président de la République a toutes les prérogatives afin d’interpréter ces conditions selon la légalité qui lui est donnée à travers le suffrage universel.

Concernant le groupe des mesures, même si le premier point est l’intention exprimée lors du discours présidentiel, les deux autres mesures à savoir  l’Assemblée du représentants du peuple soit considérée en état de réunion permanente et dernière mesure et le Président de la  motion de censure contre le Gouvernement ( pas de motion mais le gouvernement a été limogé étant un corps collégial, si son chef est démis de ses fonctions, il est ipso facto démis à son tour)  n’ont pas été respectées car elles forment le noyau dur des mesures prises par le Président tunisien. Concernant la troisième catégorie à savoir les différentes consultations du chef du gouvernement et du Président de l’ARP, ils n’ont pas été respectés de jus, celle que la Cour constitutionnelle de facto étant non-instaurée.

« Deux têtes de l’exécutif »

Si le problème de la Cour Constitutionnelle (pour non- instauration) est écarté même s’il est fondamental dans son rôle de catalyseur entre les deux pouvoirs législatif et exécutif et entre les deux têtes de l’exécutif, la non consultation des deux autres ‘’ acteurs’’ de l’article 80 même si juridiquement elle est erronée, politiquement elle est fondée car une fois de plus les mesures prises par Kais Said n’étaient pas en leur faveur.

Certains partis politiques (surtout Nahdha, Qalb Tounes et Coalition Karama ) , juristes , citoyens tunisiens, opinion internationale ont été catégoriques dans la classification de cet acte comme étant un coup d’Etat.

Or, C’est plutôt une véritable confrontation entre légalité et légitimité. Et c’est ce que le droit à appeler état de nécessité. On s’explique.

La doctrine juridique définit le coup d’Etat comme étant «   l’acte qui remplace les gouvernants et le souverain, l’acte qui fait tomber la tête du roi, l’acte qui introduit une rupture, une discontinuité dans l’exercice du pouvoir. De ce point de vue, coup d’État et révolution ont en commun différents points, partagent différents aspects. Ils questionnent, ils mettent en discussion l’ordre constitutionnel et juridique ».

Le coup d’Etat est alors un processus complexe marqué par  la prise du pouvoir dans un Etat par une minorité grâce à des moyens non constitutionnels, imposée par surprise et utilisant la force. Les auteurs d’un coup d’État, ou putschistes, s’appuient en général sur tout ou partie de l’armée et bénéficient du soutien d’au moins une partie de la classe politique et de la société civile.

Coup de force entre les deux rivales

Dans la majorité des exemples de l’Histoire, les coups d’Etat ont été opérés par des généraux de l’Armée (1923 : Allemagne. Coup d’État manqué d’Adolf Hitler. ; 1928 : Portugal. Coup d’État du général Carmona ; 1936 : Espagne. Coup d’État du général Francisco Franco ;  1942 : Algérie sous colonisation française. Putsch d’Alger du 8 novembre 1942 contre le gouvernement pétainiste. 2019 : Soudan, coup d’Etat mené par l’armée).

Kais Said est le Président élu suite à un suffrage universel et ayant la confiance d’une grande majorité du peuple (il ne fait pas partie des minorités/ il est le gouvernant). Il n’a pas utilisé des moyens non constitutionnels mais il a abusé de l’usage  de l’Article 80.  Il a utilisé la force (régalienne sans recours à l’usage des armes) dans le blocage du siège de l’ARP. A-t-il appelé à la suspension de la Constitution de 2014 et à la mise en place d’un nouvel ordre juridique interne ? non, du moins pas à ce stade. C’est un coup de force plutôt. Coup de force entre les deux rivales : la légitimité et la légalité qui par l’effet du politique peuvent devenir des adversaires.

Légalité Vs Légitimité ?

Deux postulats sont à retenir comme noyaux durs de cette analyse :

1) il n’y a pas de politique sans affirmation d’un pouvoir, qu’il soit ou non individualisé, et, en même temps, 2) il n’y a pas davantage de politique, si, de la manière la plus complète possible, le citoyen, c’est-à-dire la figure essentielle de la démocratie, ne peut faire usage de sa liberté.

L’exigence d’un pouvoir légitime, demande de celui qui le détient à avoir un juste titre pour le détenir ; et quand on évoque la légalité d’un pouvoir, on demande qu’il soit exercé justement, notamment d’après les lois établies. Le pouvoir légitime est un pouvoir dont le titre est juste ; un pouvoir légal est un pouvoir dont l’exercice est juste. La légitimité est la perspective d’où se place d’ordinaire le titulaire du pouvoir ; la légalité est la perspective d’où se place d’ordinaire le sujet.

Légitimité et légalité reflètent le couple justice /droit d’ailleurs le débat sur la légitimité n’a commencé à exister chez les grecs que lorsque le gouvernement a cessé d’être direct ou bien quand des tyrannies brutales ont été contestées. La légitimation d’un pouvoir est alors un résultat de fait, et non de droit. L’expérience tunisienne, dans ce sens, est assez illustrative d’abord avec la proclamation de la République le 25 juillet 1957 qui chassa le Royaume de la Tunisie et la Dynastie Husseinite.

Ensuite, suite à un coup d’Etat médical contre Habib Bourguiba, le 07 novembre 1987 ; le 14 janvier 2011, suite à une révolution populaire mettant fin au régime Ben Ali. Dans ces différents cas la légitimation du pouvoir n’est-elle un résultat de fait ? La colonisation, la décadence du gouvernant et la dictature sont des faits qui ont légitimé les pouvoirs politiques des différentes ères tunisiennes.

Le 25 juillet 2021, encore une fois de plus, la légitimité l’a emporté devant la légalité pour lui donner un nouveau souffle selon un résultat de fait bien déterminé.

Un état de nécessité, encore faut-il le dire

Le droit privé (pénal notamment) définit l’état de nécessité comme étant une notion juridique qui consiste à autoriser une action illégale pour empêcher la réalisation d’un dommage plus grave. En droit public – surtout en théorie générale de l’Etat-  l’état de nécessité est l’une des formes de l’Etat d’exception. En droit international, l’état de nécessité correspond à une situation de « danger pour l’existence de l’État, pour sa survie politique ou sa survie économique ». Le Président de la République tunisienne a mentionné dans son discours cette notion de survie politique et du danger qui rôde autour du peuple tunisien. Il est par ce fait dans l’application de l’état de nécessité, où toutes les décisions ne seront pas forcément légales mais forcément proportionnelles à ce danger ressenti. D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’on explique la solidarité de quelques parties internationales (l’Union Européenne, des Etats Européens, les Etats Unis d’Amérique, etc) qui n’ont pas condamné les actions du Président tunisien mais l’ont invité à œuvrer pour la réinstauration, le plus tôt possible, de l’ordre juridique interne et des valeurs de la démocratie en préservant la garantie des droits et libertés.

Un message qui a été bien déchiffré par K.Said puisqu’il n’a pas tardé à réunir les représentants des garants des droits et libertés à l’instar du pouvoir judiciaire, des organisations de la société civile, des unions des travailleurs et des représentants diplomatiques afin de faire part de sa volonté d’œuvrer pour le rétablissement de la paix sociale en Tunisie. Il a eu dans ce sens le support de toutes ces parties.

Le post-partum du 25 juillet

Le Président de la République tunisienne a depuis le 25 juillet 2021 procédé à plusieurs décisions. Il a démis deux ministres de leurs fonctions et a mis fin aux fonctions de tout le cabinet du chef du gouvernement. Afin d’éviter tout dérapage populaire, il a instauré un couvre-feu allant jusqu’à la fin du mois d’aout. Il a invité le pouvoir judiciaire à remplir ses fonctions. Le porte-parole du Tribunal de première instance de Tunis et du pôle judiciaire économique et financier, Mohsen Dali, a affirmé dans une déclaration accordée au journal Le Maghreb le 28 juillet 2021, que le pôle judiciaire a pris des décisions concernant un certain nombre d’accusations à l’encontre de partis, hommes politiques et personnalités publiques. Il s’agit notamment de dossiers relatifs à des “contrats de groupes de pression et de lobbying” et sur l’obtention de « financements étranger illégaux, suite auxquels des enquêtes ont été ouvertes à l’encontre des partis Ennahdha et Qalb Tous et de l’association Aich Tounsi.

Une feuille de route  a été mise en place pour une entente avec des partenaires économiques et des hommes d’affaires. Ceci étant, la mise en place d’un nouveau gouvernement tarde à voir le jour quatre jours après les déclarations présidentielles. Le nouveau chef du gouvernement n’a pas encore été nommé. Les 30 jours du gel de l’ARP vont vite passer et le Président devrait avoir une feuille de route générale claire dans ce sens.

Les droits et libertés qui ne peuvent être suspendus

Des dépassements essayent de s’imposer à l’instar du blocage de l’accès du siège de la chaine nationale, les médias ne sont pas rassurés en absence d’un discours clair en leur faveur. Les droits et libertés qui ne peuvent être suspendus même en présence d’un état d’exception n’ont pas été détaillés surtout que la Constitution est muette sur ce sujet. Un décret présidentiel devrait rassurer les défenseurs des droits de l’Homme et chaque citoyen en précisant qu’ «  il est interdit de toucher aux articles 6,21,22,23,24,25,26,27,28 et 29 et qu’ils doivent dans ces mesures exceptionnelles faire l’objet d’une interprétation limitative par les pouvoirs judiciaires et exécutifs ».

Kais Said, devrait également appeler à la révision de la Constitution tunisienne par le biais d’un organe élu en respectant les principes de la démocratie et le patrimoine constitutionnel tunisien. Il doit également (et impérativement) modifier la loi électorale, mère de tous les maux politiques et gardée telle qu’elle par une volonté politique hégémonique à savoir celle du parti qui a gagné les élections législatives depuis la révolution tunisienne de 2011.  

Les tunisiens sont appelés à être, plus que jamais, raisonnables et rationnels pour arriver à bonne destination. Toute impartialité leur sera fataliste et chaotique.

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