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Ahmed Rouadjia: « Tous les segments de la société algérienne sont en panne de projet culturel consensuel »

Yennayer est sans nul doute, l’un des repères de l’identité algérienne et probablement l’une des fêtes les plus anciennes de l’humanité. En dépit de sa popularité, cet emblème identitaire peine toujours à trouver sa place dans l’inventaire culturel du jeune algérien. Pr Rouadjia, professeur d'histoire contemporaine et moderne, sociologue et directeur du Laboratoire d’Etudes Historique, Sociologique et des Changements Socio-économiques (Université de M’Sila), nous éclaire sur cette problématique qui risque de mettre en péril toute une culture

On constate qu’aujourd’hui, yennayer n’occupe que peu de place dans le registre culturel et social du jeune algérien. Quelle est, selon vous, la raison de ce manque d’intérêt vis-à-vis de Yennayer ?

Il ne s’agit pas d’un manque d’intérêt, mais d’un manque flagrant de connaissances du passé millénaire de l’Algérie de la part de la jeunesse algérienne. Cette ignorance ne touche pas seulement cette frange juvénile de la population algérienne, mais affecte également la mémoire de la quasi totalité du peuple algérien formaté qu’il est politiquement et culturellement dans le moule de l’idéologie arabo-musulmane érigée par le pouvoir en un dogme intangible.
 
En effet, de 1962 à 1992 et même au-delà, le nom même de Berbère ainsi que sa langue ont été non seulement affectés de signes négatifs, mais bannis aussi de l’espace public et interdits de toute manifestation à la surface de la vie sociale. L’arabo- islamisme, en imposant l’uniformisation de toutes les composantes ethniques et sociologiques de la société algérienne a fini par oblitérer le fait berbère, ses références, ses symboles et ses cultes ancestraux. Cela explique pourquoi le calendrier Berbère- Yennayer, sonne aux oreilles de l’écrasante majorité des algériens comme un talisman !

Certains jeunes avouent ne pas connaître l’histoire de Yennayer, ne pensez-vous que les aînés ont une part de responsabilité dans ce désintérêt ?

« Certains jeunes » : il faut dire la majorité des jeunes algériens ne connaissent pas ce nom de Yennayer pour les raisons que je viens d’évoquer. Cette méconnaissance n’est pas imputable à leurs aînés, puisque ces aînés ont été eux-mêmes frappés d’amnésie du fait de la censure et de l’auto- censure imposées par le régime à la mémoire berbère…Il faut d’abord rappeler que ce calendrier berbère est associé historiquement au cycle agraire et son histoire remonte à la plus haute antiquité. Il marque l’un des jours de janvier de chaque année (11, 12 ou 14 selon les régions). Il n’a pas de caractère sacré au sens monothéiste, mais agraire, coutumier ou « naturaliste ».
Certains algériens mal informés ou imbus d’une forte dose idéologique puisée de l’arabo-islamisme intolérant associent ce Yennayer au paganisme. Occasion pour eux d’envelopper dans l’opprobre les Berbères, notamment les Kabyles, en les présentant comme antimusulmans et anti arabes !!

Le constat est sans ambages, le jeune algérien devient de plus en plus détaché de tout ce qui a trait au patrimoine algérien en général, et au patrimoine amazigh en particulier. A votre avis quels sont les mécanismes à adopter et les dispositions à prendre pour sauver la jeunesse du naufrage culturel ?

Ce ne sont pas seulement les jeunes qui se trouvent être victimes d’un « naufrage culturel ». Tous les segments de la société algérienne sont en panne de projet culturel consensuel, et d’où la crise identitaire récurrente que nous vivons depuis des décennies. Les clivages linguistiques et culturels entre Arabes et Berbères et les malentendus qui en résultent sont là pour en témoigner. Certes, le concept de la nationalité algérienne et de l’Etat nation se révèlent être une valeur partagée par toutes les composantes ethniques de la société algérienne, à l’exception des minorités idéologiques extrémistes, mais le problème qui subsiste est celui de la culture et de l’histoire algériennes qui demeurent encore prisonnières de l’idéologie arabo-musulmane, archaïque et monopolistique.
Le paradoxe, c’est que le régime politique apparaît parfois bien plus ouvert et moins crispé sur le fait berbère que la population qu’il administre. La preuve en est administrée par la reconnaissance de la langue Berbère comme langue nationale, et le Yennayer, comme jour de fête… On se souvient bien que, par une ordonnance présidentielle en date du 27 décembre 2017, le Yennayer a été décrété jour chômé et payé, et, le 12 janvier 2018, fêté officiellement comme une date marquante dans l’histoire de l’Algérie…
Ce que les Algériens, toutes « ethnies » confondues, ignorent, n’est pas seulement ce calendrier berbère ; ils ignorent aussi qu’ils avaient épousé par le passé plusieurs religions naturelles et croyances diverses dont la dernière en date est le christianisme. Comme l’a écrit un auteur français qu’on ne saurait soupçonner de parti pris « Les Berbères romanisés avaient été loin dans l’assimilation. Ils avaient adopté la langue, les mœurs, même l’esprit de Rome qui put recruter chez eux des chevaliers, des sénateurs et susciter une élite intellectuelle représentée par Apulée, Fronton, Tertullien, saint Augustin.
On en dira jamais assez combien ces Berbères furent profondément christianisés » (André Berthier, L’Algérie et son passé, p.26). Dans sa fameuse Moqqadima, Ibn Khaldoun dont l’impartialité est reconnue de tous, les Berbères ont répudié l’islam plusieurs fois avant de l’épouser comme religion… Les conquérants Arabes eurent les pires difficultés à les dompter, le christianisme avait rencontré des siècles plus tôt les mêmes obstacles face à la résistance opiniâtre des Berbères.
Certes « …le christianisme a mis cinq ou six siècles pour s’éteindre » après la conquête arabe. Mais ce qui est certain, c’est que « dès la première moitié du VIIIe siècle la masse des Berbères ne se fût convertie à l’Islam, non sans que certaines tribus aient trahi leur hésitation par douze apostasies successives, au témoignage d’Ibn Khaldoun , et marqué ensuite par leur éternel attrait pour l’hétérodoxie. L’Afrique byzantine comptait encore plusieurs centaines d’évêchés. Au début du VIIIe siècle il n’en restait plus qu’une quarantaine. Mais la survivance de communautés chrétiennes n’est pas moins attestée jusqu’à l’époque almohade[1]. »
Ianuarius (janvier) était le onzième mois du calendrier romain. Ce mois était dédié au dieu Ianus (Janus). À l’époque du roi Numa Pompilius, il comportait 28 jours ; avec le calendrier julien mis en place en 45 av. J.-C., le nombre de jours passe à 31. Janvier devient graduellement au cours du Moyen Âge, selon les pays, le 1er mois de l’année à la place de mars.
 
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[1] Charles- André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord. Des origines à la conquête arabe, tome 2, Alger, SNED,1980,   p.278
 

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